Ours (5) : ... Blaise

Publié le par Jean-Philippe

 
« [309a] Au cours de l’hiver, de la mi-décembre à mi-mars, les ours hibernent. En général ils se cachent au fond d’une grotte, mais s’ils ne trouvent pas l’endroit adéquat, « ils se serviront de troncs d’arbres creux, ils amassent des branches tombées pour former une espèce d’igloo pour se protéger des chutes de neige » [n.78 : Rodríguez de la Fuente, Fauna, V, p. 293]. « A l’intérieur et dans la partie la plus sèche, l’animal creuse légèrement le sol pour se faire une couche, composée d’un épais matelas de mousses, d’herbes et de feuilles sèches. » « L’ours est extraordinairement propre, urine et défèque toujours à l’extérieur de son habitat. » « Au début de l’hibernation, ils sont assez gros et doivent souvent sortir de la tanière pour uriner ou déféquer. Peu à peu cette activité se réduit et l’intestin se vide complètement. Ils ne doivent alors sortir que de rares fois pour éliminer le peu d’urine que produisent leurs reins. » [n.79 : Ibid.] « Les femelles mettent bas en plein hiver. » [n.80 : Rodríguez de la Fuente, Fauna, V, 296]
Aristote connaissait l’hibernation sans très bien en comprendre la cause : « Il est clair que les ours se cachent l’hiver, mais le font-ils parce qu’ils ont froid ou pour un autre motif ? La question est controversée. Nous avons constaté que pendant cette période, les mâles et les femelles deviennent très gros, au point de ne plus pouvoir se remuer. La femelle, de plus, met bas à cette période précisément et reste cachée jusqu’au moment de sortir ses petits... et cela dure au moins quarante jours. On pense que pendant deux semaines elle ne bouge pas du tout, mais les autres jours, qui représentent la plus longue période, elle se réveille et bouge, mais reste cachée... Il est certain que pendant ce temps ils ne mangent pas du tout, car si on les capture on se rend compte que leurs estomacs et leurs intestins sont complètement vides. » [n.81 : Aristote, VIII, 600a, b] Pline fait une différence entre l’hibernation du mâle et celle de la femelle : « Alors que les ours mâles hibernent et se cachent quarante jours, les femelles le font pendant quatre mois. S'ils n’ont pas trouvé de grotte ils se construisent un abri d’arbustes et de branches amoncelées, impénétrable à la pluie, recouvert d’un doux tapis de feuillage. Pendant les deux premières semaines ils dorment si profondément que rien ne les réveille, même pas des blessures. Pendant cette léthargie ils deviennent très gros. Leur graisse est excellente pour certaines préparations médicales et empêche la chute des cheveux. » [n.82 : Pline, VIII, 54] (C'est peut-être parce que l’ours change de poil tous les ans [n.83 : Rodríguez de la Fuente, Fauna ibérica, VI, 150].) Plutarque parle de la discrétion de l’ours : « Pour entrer dans sa tanière, il s’approche avec prudence et discrétion, marchant sur la pointe des pattes. » [n.84 : Plutarque, Œuvres morales, 971 D] Elien suppose que la femelle confond son état gravide avec une indisposition : « Elle met bas en hiver et une fois que c’est fait, elle reste blottie dans sa tanière, craignant pour ses petits et attendant l’arrivée du printemps. Elle ne sortira pas ses oursons avant trois mois. Quand elle se sent gravide elle cherche un abri car elle croit qu’elle est malade. C’est pour cela qu'on appelle la léthargie de l’ours "le temps de la tanière". Elle entre dans sa tanière couchée sur le dos en se traînant, et non à quatre pattes, de manière à ne pas laisser de traces à la vue des chasseurs. Une fois installée, elle reste immobile et perd du poids pendant quarante jours... C’est ainsi qu'ils passent quarante jours de jeûne complet. » [n.85 : Elien, Histoire des animaux, VI, 3]
[309b] Le Livre de l’utilité des animaux : « L’ours se caractérise parce qu’il hiberne, parce qu’il se nettoie les ongles et nettoie sa tanière. » [n.86 : Durayhim, 44] Au Moyen Age il était le symbole de la paresse. Au XVIe siècle on pensait que la viande d’ours qui avait passé quelques mois immobile provoquait la paralysie.
Pline assure que pendant les quatorze premiers jours d’hibernation les ours «vivent en suçant leurs pattes de devant » [n.89 : Pline, VIII, 54]. Elien dit : « Ils passent ainsi quarante jours en jeûnant totalement ; ils sont bien assez occupés à sucer les griffes de leur patte droite. » [n.90 : Elien, Histoire des animaux, VI, 3] Oppien : « Faute de nourriture, il lèche ses pattes et ses griffes et les suce comme s’il suçait du lait et trompe ainsi les besoins de son estomac. » [n.91 : Oppien, De la chasse, III, 174 ; voir De la pêche, II, 248. Aussi Martial, VI, 64] L’emblématique donna diverses significations à cette caractéristique. Pour Valeriano elle représente l’abstinence et pour Camerarius la vie contemplative; pour Nicolas Causino c’est un signe d'humilité [n.92 : Camerarius (1593), II, Emblème 20 (…)].
Il est vrai que l'ours se lèche les pattes mais il ne le fait pas pour calmer sa faim. « La vraie raison est la démangeaison que lui provoque la mue de la plante des pattes qui a lieu précisément pendant le repos de l’hiver. » (…)
« On pense, écrit Aristote, que puisqu’il ne prend aucune nourriture, les parois de l’intestin de l’ours sont presque collées et c’est pour cela qu’à peine sortis, ils vont manger l’arum qui gonfle et dilate l’intestin » [n.94 : Aristote, VIII, 600b ; voir IX, 611b (§VII.1) ; Pline, VIII, §54] ; et « ils mâchent des morceaux de bois comme s’ils voulaient y laisser l’empreinte de leurs dents » [n.95 : Aristote, IX, 611b-612a (§VII.1). Voir Pline, VIII, §54]. Plutarque : « Quand l’ourse sort de sa tanière la première chose qu’elle mange est l’arum sauvage, qui par son âcreté dégage son intestin qui était noué. » [n.96 : Plutarque, Œuvres morales, 974 B] Elien : «A cause de sa maigreur extrême, ses intestins se resserrent et se compriment. Comme elle le sait, l’ourse va manger l’arum sauvage dès qu’elle sort. Comme cette plante a des propriétés flatulentes, elles distend et gonfle l’intestin qui est de nouveau capable de recevoir des aliments. » [n.97 : Elien, VI, 3]
Voyons ce qu’on peut en penser : « Dès que l’ours sort de son habitat hivernal, il se secoue si violemment pour remettre son pelage en ordre, qu'on peut l’entendre de loin. Il s’étire, se lèche les poils... Avant tout il se soucie de fortifier son corps, ratatiné par le long repos hivernal. Mais en premier lieu, il lui faut une bonne purge pour nettoyer ses intestins. Parmi les nombreux laxatifs végétaux, il choisira de préférence le lichen foliacé de saveur amère et âpre, ou la mousse qui est aussi purgative. » [n.98 : (…), Praneuf, 19] Parmi les nombreuses plantes qu’il consomme, les Anciens mentionnent aussi l’arum parce qu'ils supposaient que l’ours cherchait des plantes pour dilater l’intestin. Pour cela il faut une substance de nature chaude et l'arum l’est, sa saveur âcre, signalée par Plutarque [n.100 : L’arum est âcre et considéré comme chaud : Dioscoride et Laguna, II, 157 (…)], permet de le penser.
Il mange des fourmis en quantité. « Pour les attraper il introduit une patte dans la fourmilière, l’y laisse un moment, jusqu’à ce qu'elle soit entièrement couverte de fourmis, puis les lèche avec délices. » [n.101 : R.F., Fauna ibérica, VI, 138] Selon Elien il les mange quand il est rassasié « car cela lui permet d’évacuer ses intestins facilement » [n.102 : Elien, VI, 3]. Mais selon Plutarque il les mange s’il souffre de nausées [n.103 : Plutarque, Œuvres morales, 974 B], et pour Pline il les consomme pour contrecarrer les effets nocifs de la mandragore [n.104 : Pline, VIII,  §41. Même remarque chez Latini]. En résumé, les Anciens ne [310a] pouvaient voir dans ces petites fourmis un aliment digne du grand ours et imaginèrent alors qu’elles lui servaient de médicament. » .
»
Xosé Ramón Mariño Ferro, Symboles animaux,
Paris, Desclée de Brower, 1996, p. 309a-310a.

Ours dans les montagnes : Gaston Phébus, Livre de la chasse
Milieu angevin, vers 1445-1450

Paris, BNF, département des Manuscrits, Français 1291, fol. 16v.

« Dans les Pyrénées, une autre croyance [que celle de la capacité de prédire la venue tardive ou précoce du printemps] liée au réveil du plantigrade concerne le “pet de l’ours.” Quand il quitte sa tanière au printemps, l’ours absorberait une plante purgative afin d’expulser le bouchon de poils et d’herbe qui obstrue son anus pendant l’hibernation (…). Ce souffle anal passait pour contenir les âmes des créatures mises au monde avec l’année nouvelle. L’animal rapportait ces âmes dans son ventre ou dans sa vessie depuis le monde souterrain où il avait séjourné durant l’hiver. L’ours accomplit donc une fonction importante dans le cycle naturel et cosmogonique, celle de psychopompe, c’est-à-dire de conducteur des âmes.
Il apparaît que les paysans d’Europe occidentale ont transféré sur le personnage de saint Blaise les caractères et les fonctions qu’ils attribuaient à l’ours. (…)
(…) L’Église honore Blaise le 3 février, c’est-à-dire le lendemain du réveil de l’ours. En Saône-et-Loire, à Berzé, cette fête revêt une importance particulière et recouvre une longue tradition du culte de l’animal. Blaise passe pour être le protecteur du bétail ; récemment, une foire aux bestiaux se tenait le jour de sa fête. Dans cette localité, on a découvert une grotte néolithique contenant des crânes d’ours, qui semblent y avoir été rassemblés pour un culte. »

Michel Praneuf, L'Ours et les hommes,
Paris, Imago, 1989,
p. 130.

Michel Pastoureau évoque à son tour « telle ou telle découverte faite en Bourgogne, à Berzé-la-Ville ou bien à Arcy-sur-Cure » (L’ours, histoire d’un roi déchu, p. 34), notamment, concernant Berzé, la mise au jour de « huit crânes d’ours enfouis sous un dallage de pierres plates » (ibid., p. 337, n. 20).



[désolé, pas de référence pour ce qui semble être une gravure sur bois
et qui ressemble à d'autres que j'ai vues sur un manuscrit sur les fables d'Esope]

      
« Dans le voisinage [de Berzé] fut édifié l’abbaye de Cluny ; des scènes de la vie du [131] saint sont peintes dans une des chapelles. (…)
Blaise, évêque arménien du IVe siècle, vécut en ermite sur le mont Argée. Il habitait dans une grotte, comme les ours, et on l’appelait « le grand-père de la montagne ». Il descendit un jour de la montagne et fit des miracles : il ressuscita le porc d’une veuve, ainsi qu’un enfant étouffé par une arête. Il peut, comme les ours, rappeler les âmes des morts.
L’ours et son substitut chrétien, Blaise, étaient considérés par les paysans des premiers siècles de notre ère comme dotés des mêmes pouvoirs pour intervenir dans divers domaines de l’activité humaine.
Blaise, ou plutôt l’ours, avait quatre fonctions essentielles :
— Un rôle agricole : il protège les moissons. En libérant les souffles du printemps [« Aux souffles du printemps le rude hiver s'efface », Horace, Odes I, 4], il provoque les ballonnements de la nature, il fait gonfler les tiges, les bourgeons et les fruits.
— Un rôle sexuel : il fait gonfler aussi les phallus, les seins et les ventres. Il préside donc à la prospérité des troupeaux. En faire le protecteur du bétail est une manière paradoxale de conjurer le caractère prédateur du plantigrade. Il favorise également le mariage des filles et la fécondité des femmes.
— Un rôle médical : c’est le spécialiste de la gorge. Comme il a ressuscité un enfant étouffé, il a le don de guérir les maux de gorge, les toux, les coqueluches et les laryngites. La gorge est précisément l’endroit par où s’exhalent les souffles sous forme de la respiration, du rot, du bâillement. Elle partage cette fonction avec l’orifice anal. C’est aussi l’organe du chant (Blaise patronne les confréries de chanteurs en Grèce), l’organe du rire à gorge déployée et des ripailles gargantuesques. La gorge a en quelque sorte un caractère rabelaisien et carnavalesque.
— Un rôle artisanal : c’est le patron des cardeurs et des tisserands. D’un point de vue historique, c’est parce que Blaise a subi le martyre, déchiré par des peignes de fer. D’un point de vue mythique, c’est parce qu’il agit sur la végétation et [132] stimule la croissance (le gonflement) des plantes textiles.
Lorsque les tisserands célébraient la fête patronale de la Saint-Blaise, et également en période de Carnaval, le travail des fibres textiles devenait tabou. Il ne fallait pas y toucher de crainte de les emmêler et de les nouer, c’est-à-dire de nouer les souffles et les vents et par conséquent de perturber le temps propice à la fertilité printanière.
S’ils ne travaillaient pas durant le Carnaval, les artisans drapiers et les tisserands, en revanche, s’amusaient et animaient les festivités. Ce sont eux qui, regroupés dans la confrérie de Saint-Blaise, furent les meneurs de la révolte du Carnaval de Romans (1580). Ce fut une lutte de classes où les artisans, les paysans et les petits-bourgeois, en majorité huguenots, se soulevèrent — en vain — contre les gros propriétaires, les juristes et toutes l’élite catholique qui bénéficiait de privilèges fiscaux. Il est remarquable que le maître-drapier Paumier, chef de cette révolte, apparaît déguisé en ours quand il occupe le siège consulaire de la maison de ville [n.2 : E. Leroy-Ladurie, Le Carnaval de Romans, Paris, 1979]. » 
Michel Praneuf, L'Ours et les hommes,
Paris, Imago, 1989,
p. 130-132.

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Publié dans Bestiaire

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